lundi 13 octobre 2014

Sortir d'un rapport infantile à l'autorité (2): distance hiérarchique et peur de l'incertitude

D’où vient ce penchant français persistant pour l’homme providentiel, en politique et aussi parfois dans le monde de l’entreprise ? Comment en sortir pour former des citoyens et des professionnels plus adultes et plus coopératifs ?


Après une première partie un peu « philosophique » sur l’universelle peur de la liberté dont j’ai parlé ici, le modèle élaboré par le psychologue Geert Hofstede sur les dimensions des cultures nationales est utile pour identifier deux autres facteurs qui nourrissent ce penchant français pour la recherche d’un homme (ou d’une femme) providentielle, lorsque les conditions sont difficiles et que la crise ou le danger nous guettent: notre aversion nationale pour l’incertitude, et la distance hiérarchique élevée dans nos organisations.


Le modèle de Hofstede : l’aversion pour l’incertitude…

Le modèle de Hofstede, qui vise à faciliter la compréhension interculturelle (et par ailleurs a ses limites comme tout modèle), définit une culture nationale sur la base de six paramètres. Parmi ceux-ci, la distance hiérarchique (power distance) et l’aversion pour l’incertitude (uncertainty avoidance).

L’outil permet de comparer les « scores » de dizaines de pays, chaque paramètre étant noté de 0 à 100 environ.

Plus l’aversion pour l’incertitude est élevée, plus (ça c’est moi qui le dit) l’angoisse va être forte lorsque cette incertitude est importante. Or aujourd’hui, de plus en plus dans notre monde toujours plus complexe, l’incertitude est partout, tout le temps… Et nous avons vu qu’une angoisse élevée augmente notre propension à nous décharger de notre liberté et de notre responsabilité sur un homme providentiel.

Voici donc quelques « scores » nationaux pour ce paramètre selon les études de Hofstede : UK 35, Chine 40, USA 46, Allemagne 65, France 86, Japon 92.

Aversion pour l’incertitude très élevée et angoisse très forte en France donc, il suffit de regarder le journal de 20h n’importe quel soir au cas où vous en douteriez. Au pays de Descartes, la « dynamique de chaos » de notre monde actuel évoquée par Jacques Attali passe mal. Car l’apologie de la liberté individuelle conduit inévitablement à celle de la précarité.


… et la distance hiérarchique

Plus la distance hiérarchique est élevée, plus les membres les moins puissants d’un pays ou d’une organisation s’attendent à ce que le pouvoir soit distribué de manière inégale (et l’acceptent). Ce qui est intéressant, dans cette définition, c’est qu’elle fait bien ressortir que la distance hiérarchique est la responsabilité de tous, c’est un jeu que l’on accepte de jouer tous ensemble du haut en bas de la pyramide ou de l’échelle sociale.

Quelques « scores » pour la distance hiérarchique : UK 35, Allemagne 35, USA 40, France 68 (quasi record d’Europe), Chine 80.

Ainsi, malgré la démocratie, nous sommes encore fondamentalement en France dans une relation parent-enfant vis à vis de l’autorité, qu’il s’agisse du professeur, du PDG ou du Président de la République.

On peut y voir un lien avec notre pessimisme national, notre manque de confiance en l’avenir. Comment être optimiste dans un monde incertain, très changeant voire chaotique lorsqu’on est convaincu que les décisions et les solutions ne dépendent pas de chacun de nous, mais uniquement du chef, fantasmé et honni à la fois ? Lorsque chacun croit être impuissant et pense ne pas avoir en soi-même les ressources pour influer sur son destin individuel et collectif ?

Tout juste la démocratie et la montée de l’individualisme ont-elles renforcé la dose de rébellion dans cette relation de dépendance.

La bonne vieille pyramide hiérarchique semble avoir encore de beaux jours devant elle dans un des pays les plus centralisés du monde… alors même que plus un environnement est complexe, moins la centralisation des décisions est efficace.


So what ?

Tout n’est pas désespéré pour autant.

« Un arbre qui tombe fait plus de bruit qu’une forêt qui pousse. » (Proverbe indien)

La liberté est source d’incertitude et d'angoisse mais aussi d’invention, d’enthousiasmes et d’un supplément d’âme, pour peu qu’on veuille oser la confiance, en soi et dans les autres.

Des ilots de coopération se multiplient au sein de certains acteurs de l’économie. Des réseaux se créent. De nouvelles identités professionnelles, individuelles et collectives, émergent et se développent, où pouvoir et responsabilité sont décentralisés et partagés.

A bientôt pour quelques pistes d’action, dans l'entreprise et dans la société...

(à suivre…)