Parce que la vie n’est pas un problème de maths…
Plaidoyer pour l’ingénieur 2.0
Plaidoyer pour l’ingénieur 2.0
La France a une longue tradition
de dirigeants ingénieurs, issus en particulier de Polytechnique, Centrale ou
l’Ecole des Mines. Pourtant, et bien qu'ingénieur de formation moi-même, j’ai
pu constater dans ma pratique d’accompagnement de dirigeants que cette
évolution professionnelle n’allait pas nécessairement de soi et que nombre
d’entre eux achoppaient, une fois devenus dirigeants, sur les mêmes difficultés
récurrentes.
L’ingénieur devenu manager ou a
fortiori dirigeant est en effet confronté à des règles du jeu très différentes
de celles auxquelles il a été habitué pendant toutes ses études, voire pendant
la première partie de sa vie professionnelle:
1. C’est à
lui qu’il incombe de formuler les questions et les objectifs, les problèmes
ne sont plus posés et soumis par autrui – il s’agit de passer de la réaction à
l’action ;
2. Il existe
plusieurs façons de formuler chaque enjeu, situation ou problème, toutes
interprétatives, incomplètes et partielles ;
3. L’énoncé
de chaque problème est baigné d’incertitude car certaines données sont manquantes,
incertaines, évolutives voire ignorées;
4. Ce
problème n’admet pas une solution unique et parfaite mais plusieurs
solutions imparfaites, aux conséquences seulement partiellement prévisibles et
impliquant toutes une prise de risque ;
5. Le
problème comporte en outre des enjeux irrationnels de type relationnels,
psychologiques et émotionnels, et sa résolution nécessite de faire appel aussi
à l’intuition ;
6. Le
problème ne peut être résolu seul : la meilleure solution est
généralement le résultat d’un travail d’équipe, notion assez étrangère au
système scolaire français ;
7. Il est
malgré tout nécessaire de décider et de choisir, la non décision étant
souvent la plus mauvaise des décisions ;
8. Enfin, au-delà de la décision ou de la
définition d’une solution, il est
nécessaire pour le résoudre de passer à l’acte, d’expérimenter et d’accepter de
faire des erreurs, d’explorer différentes manières de mettre en œuvre et d’ajuster
au fur et à mesure.
Selon les personnes, c’est tel ou
tel des huit points ci-dessus qui sera au cœur d’une angoisse, d’un angle mort
ou d’un blocage… ou plus simplement une compétence à acquérir.
Souvent, ceux qui rencontrent les
plus grandes difficultés dans cette transition et ce changement de règles du
jeu sont ceux-là mêmes qui ont le plus brillamment réussi leurs études!
Une fois ce constat posé, il y a
du pain sur la planche pour les Ecoles d’ingénieurs elles-mêmes, et en particulier
pour les plus cotées ! Mais il y en a également pour les DRH des
entreprises françaises, et ceci d’autant plus que ce qui s’observe sur les
individus peut, au-delà d’une certaine masse critique, se révéler une caractéristique
de la culture de l’entreprise :
- Une entreprise dont la culture achoppera sur la
règle 1 souffrira en premier lieu d’un déficit de vision, avec ce que cela peut
impliquer en termes de manque de cohérence et de performance sur le long terme,
ainsi que de manque d’engagement des collaborateurs ;
- Celle qui sera mal à l’aise avec les règles 2 à
4 risquera de se révéler fort peu adaptée à la gestion de la complexité et des
transformations accélérées et permanentes de notre siècle ;
- L’ignorance de la règle 5 pourra elle notamment entraîner
plus de souffrance que de plaisir au travail ainsi qu’un déficit de créativité,
celle de la règle 6, des problèmes d’alignement stratégique et d’engagement,
celle des règles 7 et 8, paralysie et
entropie…
Les jeunes ingénieurs eux-mêmes
semblent plaider pour une réhabilitation de l’intuition dans leur cursus de
formation(1). Plus généralement, l’enjeu central est de développer
l’intelligence intuitive et la créativité, au-delà de l’intelligence
rationnelle, pour mieux appréhender les situations complexes, apprivoiser
l’incertitude et la prise de risque ainsi que les enjeux relationnels et
« politiques ».
Pour le dire autrement et de
manière symbolique, il s’agit de rééquilibrer nos deux hémisphères cérébraux en
renforçant le « cerveau droit » pour éviter la toute-puissance du
« cerveau gauche ».
A une époque où certaines
entreprises disent souhaiter recruter à l’avenir davantage de profils issus des
filières « lettres et sciences humaines » pour leur capacité à
« sortir du cadre » et à coopérer (2), il est sans doute
de l’intérêt même des ingénieurs et des écoles d’ingénieurs de repenser leur
bagage culturel et de l’ouvrir à d’autres influences.
Bonjour,
RépondreSupprimerLes qualités qui manquent chez les ingénieurs pour devenir dirigeant selon cet article sont les mêmes qu'il faut à un thésard pour devenir docteur ès sciences (y compris les sciences dures) ; sous réserve que son directeur de thèse n'assume pas lui-même l'essentiel du travail qui requiert ces qualités...
Faudrait-il confier la direction des entreprises à des docteurs ? Faudrait-il que les ingénieurs fassent une thèse ?
SG